Chienne de garde
Pêché sur le blog d'Annalilita, sage-femme, mai 2008.
Branle-bas de combat :
"Je passe par le service où je m'excuse de mon retard et où je vois surtout ce tableau qui fait peur: service plein. J'entends déjà ma collègue me dire d'aller en salle de naissance, il y a du boulot. Ouh là...
Au programme: une accouchée avec examen du bébé fait. Une autre accouchée avec examen du bébé à faire. Une patiente deuxième pare début de travail incertain et surtout anomalie du rythme. Une patiente primipare à 3 cm qui attend sa péri. Une patiente sous monito dans le couloir, je ne sais pas encore ce qu'elle a.
Il faut évacuer les patientes accouchées mais pas de chambre libre disponible, enfin si, juste un lit pour 4 patientes hospitalisées...
Accouchement finalement rapide pour ma patiente, examen du bébé fait. J'entends gémir la patiente qui vient d'arriver. Pas le choix, je laisse ma patiente dans les étriers pour partir installer la primipare en salle. J'appelle l'anesthésiste ainsi que ma collègue du service pour poser la péri, pas le choix non plus, je dois suturer tandis qu'un autre accouchement est toujours en cours.
Il nous reste donc nos papiers à faire et poursuivre la surveillance du travail.
06h30 les dilatations sont rapides, l'une est à 8cm, l'autre à 6 et la 3e à dilatation complète. Mais déjà une nouvelle entrée : deuxième pare en tout début de travail qui devient rapidement algique et que faire? car pour le coup je n'ai pas de salle d'accouchement de disponible, et sans salle, pas de péri possible."
Manger devient une obsession :
"Je m'occupe donc de l'examen du dernier né que je trouve bien lourd, effectivement, la balance nous indique 4380g. Un bébé qui n'en finit plus de têter le sein de sa mère, cherche-t-il à atteindre les 4400g ?!
J'installe cette patiente en salle à qui je mets une péridurale. Dilatation rapide. Je pars manger car il est 01h, mon estomac réclame. Mais à peine ma salade terminée ma collègue m'appelle pour ma patiente qui a envie de pousser. Bébé haut, je le laisse descendre et part rapidement manger mes pâtes encore chaudes. Pas le temps d'enchaîner avec le dessert, j'entends déjà mon prénom résonner dans le couloir. Ma collègue du service me cherche pour m'annoncer qu'elle entre une primipare en début de travail. Patiente sous monito, vais-je pouvoir terminer mon dessert ? Non, ma patiente m'appelle : envie de pousser.
Je pars manger mon dessert mais la sonnette retentit. Primipare en tout début de travail. C'est reparti, perf, monito, examen. Nous revoilà avec deux patientes en travail et deux accouchées. Et je ne crois pas si bien dire, nouvelle sonnette : troisième pare à 3 cm."
Manque de bras :
"Dans le service c'est l'orgie, 7 bébés pleurent pour une paire de bras..."
Tous ces parents n'en avaient-ils donc pas, des bras ...
Impuissance :
"La fatigue pèse sur mes épaules et une élève sage-femme a apporté des cakes faits maison pour fêter ses 21 ans, nous n'avons eu le temps de rien, du coup nous les dévorons pour le petit déjeuner. Pas facile d'apprécier les cakes lorsque j'entends cette dernière patiente qui ne cesse de gémir, et son mari qui vient souvent me chercher pour me dire « je crois qu'elle a mal », une façon très polie de me dire « elle a vraiment très mal », et je n'en doute pas. Mais que puis-je faire? Puis la patiente ne gémit plus mais hurle, j'abandonne mon cake pour aller l'examiner, sait-on jamais... Fausse alerte, elle est toujours à 3 cm."
C'est péri, ..., ou rien. Le rien de l'impuissance et de la passivité, le vide qui crée la culpabilité et la souffrance. On peut pourtant en faire des choses, ou simplement laisser faire : laisser les femmes en couche libres de bouger, proposer des bains ou des douches chaudes, des ballons, de quoi s'accrocher ou se suspendre, laisser vocaliser, laisser l'amie ou la doula ou l'accompagnante être auprès d'elle en plus du compagnon. Tant de choses qu'il suffirait de laisser faire.
Bienvenue dans une usine à bébés